Blantyre, Bangula, leurs habitants, leur gentillesse et leur gin

J'entre au Malawi en bus, et de nuit. Lilongwe, le terminus, est très animé, la gare routière n'a pas d'éclairages publics et la seule lumière provient des minarets de la mosquée voisine, qui brillent d'un vert électrique.

 

Je trouve un taxi et part monter ma tente dans une auberge tout proche. Elle est remplie d'anglaises ivres qui voyagent avec un de ces bus 4x4 qui les emmène de spots touristiques en spots touristiques en les coupant de tout. Elles ont chacune leur prénom d'écrit sur leur tee-shirts. Elles sont au moins 25. Je les évite soigneusement et file me coucher. Je pars demain vers le sud et Blantyre avant de rejoindre Bangula où travaille mon pote Baz.

 

Je fais étape en route à Blantyre, ville qui ne voit pas passer beaucoup de blancs. Je fais mes premiers kilomètres en dehors des sentiers balisés. J'y passe une courte nuit avant de filer au sud en matatu, ces minibus d'un autre âge qui transportent les africains et occasionnellement moi-même à travers tout le continent. J'apprends quelques mots de Chichewa pour m'orienter et faciliter les contacts.

 

Bangula est le trou du c.l du Malawi. Pile poil ce que je cherche. C'est l'Afrique rurale profonde, il y a 2000 habitants, des chèvres, un restaurant somalien avec trois tables qui sert de la nisna avec de la chèvre grillée...Ils vendent aussi du coca. Je finis les 13 derniers kilomètres qui me sépare de la Mwabvi Game Reserve où travaille Baz sur le porte-bagage d'un cycliste. Rien de plus normal, c'est le taxi local !! Autre monde, autre rythme, mais gentillesse et sourires partout. Les enfants me suivent à distance en criant "Uzungu, Uzungu !!" (Blanc, blanc !) Ils me saluent tous de la main et je leur réponds. Mon chichewa les fait rire.

 

Sous un soleil de plomb, j'arrive enfin au Chipembere Camp ou je compte surprendre Baz, non sans m'être perdu aupréalable dans le bush après être descendu du porte bagage de mon taxi. Je finis donc à pied, accompagné d'une dizaine de bambins qui virvoltent autour de moi comme des moineaux.  

 

Je surprends Baz en pleine peinture de la nouvelle cuisine. Il est impressionné que je sois arrivé ici par mes propres moyens. Et impressionner Baz n'est pas évidant. Néerlandais né au Bénin, Baz a traversé l'Afrique du Nord au Sud en transport en commun à l'âge de 19 ans. En solitaire. Il a vécu au Mozambique, au Swaziland, et Afrique du Sud. Il parle couramment néerlandais, africaans, anglais, portugais, swahili, zulu et xhosa. Il baragouïne le français et l'arabe. Il est ranger et connait le bush, sa flore et sa faune par coeur. Il a 24 ans et en impose, il a décidé de bien remplir sa vie.

 

Nos retrouvailles sont rock and roll : 3h de voiture pleine balle pour retourner à Blantyre d'où je viens (!!), bières, burgers, nightclub, pickpocket, et "Malawian Gin" qui a le goùt de l'alcool à brûler. Nous dormons dans les dortoirs d'une auberge dont nous nous faisons virer le lendemain sur les coups de midi avec un très sévère mal de crâne. Le pickpocket m'a délesté de 20 000 kwacha, environ 100 euros, mais a oublié 250 dollars, ma CB et mon passeport. L'aventure peut donc continuer...

 

 

Une leçon d'humilité

Comme je squatte gratuitement le dortoir de la réserve durant ma visite, je file un coup de main aux équipes de Barry, le directeur. On prépare donc un enclos pour les deux jeunes lions que le programme prépare à la ré-introduction, et on aménage de nouvelles routes dans la réserve. Cela signifie ouvrir des pistes dans le bush 6 heures par jour en découpant à la machette tout ce qu'il y a devant nous.

 

Nous sommes 6 en action, il fait 45°C et nous abattons 500 mètres en une journée de labeur. Epuisant. Baz et moi buvons 1 litre d'eau à l'heure et finissons la journée déhydratés quand nos compagnons locaux papotent toute la journée et se partagent 2 litres d'eau sur les coups de 16h. Hallucinant.

 

Nous gagnerons pourtant leur respect ; leur reccord est établi à 700 mètres de piste ouverts en une journée. Avec 500 m, ils nous considèrent donc comme des travailleurs acceptables, surtout pour des Uzungus. Je vois trouble et mon sourire est un rictus de fatigue. Baz m'annonce qu'il va souffrir en été quand il fera jusqu'à 50 degrés...Nos amis eux sont tous sourires. J'ai les jambes qui tremblent et il faut encore faire ces fameux 500 mètres pour rentrer au camp, attendre que le générateur démarre pour activer la pompe et profiter d'une courte douche...

Monkey Bay, le lac Malawi et le ferry Ilala

Après Bangula je file en direction de Monkey Bay. Je compte y prendre le Ilala ferry qui m'emènera jusquèau nord du pays où je compte passer en Tanzanie.

 

Ce voyage paisible au fil de l'eau tourne au cauchemard. Classe économique digne des esclaves des Passagers du vent, bateau surchargé en personnes et en marchandises, retard de 17 heures.

 

Je passe 74 heures à bord sans pouvoir descendre et pousse mes limites à leur maximum. Je dors sur un banc de 30 cm de large que je partage avec 2 personnes. Face à moi se trouvent deux jeunes mamans qui allaitent régulièrement leurs rejetons braillards...La plupart des voyageurs utilisent le ferry de port en port et je suis le seul à le prendre sur toute la longueur du trajet. Inconscience...

 

Les locaux se passent le mot et l'on me réveille même au coeur de la nuit pour parler au pauvre fou qui vient de Monkey Bay ! Je dors à peine, ne comprend rien à leur chichewa et je suis mort de fatigue. Des rats courrent sur l'acier du plancher au milieu des graines et des poissons en décomposition échappées des sacs éventrés. On étouffe, je serre les dents. J'ai heureusement fait pote avec le cuisto et évite au moins la fille d'attente pour manger.

 

Le dernier soir, à bout, je fraude et monte sur le pont de la première classe, aux cabines hors de prix, pour dormir enfin, caché à l'arrière. Avant de sombrer dans le sommeil, je jette un oeil par dessus bord. Tout autour du ferry, dans une nuit noire georgée d'étoiles, brillent des de lampes sur le lac. Des centaines de bwatos, les pirrogues locales, illuminées de  parafine enflammée, brillent comme autant d'étoiles tombées du ciel. Les hommes qui les dirigent espèrent ainsi attirent des poissons dans leurs fillets et cette vision difficile à décrire me réconcilie avec l'Ilala et le Malawi.

 

Au matin j'échapperai à l'amende de justesse en négociant fermement avec un des marins avant de mettre enfin pied à terre et de partir en direction du nord.