Et soudain le Soudan...

Je quitte l'Ethiopie sur une note mitigée. Après une négociation de réservation de taxi collectif jusqu'à laville frontière que je juge plutôt fructueuse, je me retrouve le lendemain avec un siège réservé à mon intention  mais dans l'obligation de re-payer mon ticket. Mon soit disant booker se trouve en fait être un arnaqueur de première de mèche avec l'équipage du taxi. Un bon coup de gueule n'y changera rien, je dois repayer. Je me concentre alors sur l'observation du paysage pour faire passer mon humeur massacrante. Arrivée à destination et alors que les passagers descendent, le chauffeur m'offre un coca et me propose de me conduire jusqu'au poste frontière, distant de quelques kilomètres. J'accepte volontier et participe alors à ne étrange discussion. Le conducteur et son acolyte tente de me convaincre que tous les éthiopiens ne sont pas des voleurs, ce dont je ne doute pas, et qu'eux même n'ont rien à voir avec mes déboires du matin. Sincère plaidoirie ou volonté de redorer l'image de l'Ethiopie aux yeux de l'occidental que je suis ? Impossible de le savoir. Je les remercie cependant chaleureusement pour les quelques kilomètres offerts et je dois reconnaitre qu'ils m'ont convaincu de leur bonne foi. Presque convaincu.

 

Les formalités douanières se font sans aucune encombre (une farce après les dificultés rencontrées pour obtenir ce visa) et je me retrouve au Soudan, en pleine forme et un peu inquiet tout de même. Devant moi s'étend la partie de mon trajet que j'appréhende le plus après l'Ethiopie...

Road-blocks et course poursuite

Les 100 premiers kilomètres annoncent la couleur. Nous sommes arrêtés 8 fois, tous les passagers et le véhicule entier sont fouillés à chaque fois de fond en comble sauf...moi et mon sac à dos !! Généralement, une fois le véhicule fouillé on me fait fermement comprendre de remonter à bord pendant que les autres passagers sont fouillés sans ménagement par des hommes ressemblant à s'y méprendre à des....bandits mais étant en fait...les représentants de l'ordre...D'accord d'accord !

 

Ceux-ci se lance d'ailleurs dans une course poursuite avec notre minibus après l'un des contrôles. Un pick-up rempli de miliciens armés jouant le rôle de policiers nous prend en chasse pour une raison qui m'est inconnue. Dès qu'il s'en rend compte, notre chauffeur arrête son véhicule pour sauver nos vies. Le pick nous dépasse, s'arrête en faisant hurler les pneus et repasse à nos côtés au ralentit. Tout le monde se dévisage. Aucune parole n'est échangée et notre chauffeur reprend doucement la route alors que le pick-up s'éloigne. Ambiance...si l'objectif est de nous faire peur ça marche à merveille.

 

Il faut dire que la situation au Soudan est...complexe. Soubresauts de guerre civile qui s'éternise au Darfour sur fond de lutte pour le contrôle des puits de pétrole du pays. Ajoutez à cela une touche de guerre religieuse entre chrétiens du sud et musulmans du nord, mélangez avec un génocide organisé par le pouvoir en place pour garder la main mise sur le richesse du pays, et saupoudrez pour finir avec un référendum prévu pour janvier 2011 qui doit décider de l'indépendance ou non du Sud !!! L'avenir soudanais s'annonce assez sombre...

 

Khartoum Inch'Allah

Une fois parvenu dans la ville de Al Qadarif où je suis sensé passer la nuit avant de pouvoir monter plus au nord, je dégote un bus qui va me conduire à Wad Madani. Je préfère en effet, rouler vers le nord, même de nuit, plutôt que de trainer dans les zone frontalières, généralement plus instables que l'intérieur du pays. Me voilà donc dans un bus climatisé, ou règne un silence étrange. Tout le monde suit en effet sur une unique télévision sans son les aventures d'un gouverneur américain bodybuildé armé jusqu'au dents.

 

Seul un vendeur trouble le silence pour me proposer un remède contre les scorpions. Il possède quelques uns de ces charmants animaux dans une boite où il me propose de mettre le doigt après l'avoir enduit de son produit miracle. Son sourire est sensé me donner confiance mais je décline poliment. Je n'arrive malheureusement pas à lui faire comprendre que je rêve de le voir me faire une démonstration...Il est ensuite remplacé par un homme qui m'offre de le suivre dans son magasin pour partager un thé. Je dois refuser car le bus démarre et je lui explique que je désire être à Wad Madani dans la nuit. Il me souhaite un bon voyage et rajoute malicieusement que je n'y parviendrai que si c'est là le souhait d'Allah.

 

Celui-ci semble bien disposé puisque j'atteindrai même Khartoum dans la nuit, après un nombre de contrôle de mon passeport hallucinant, et des arrêts où je fais attendre le bus entier durant 20 minutes pendant qu'un officiel déchiffre mon passeport et note mes coordonnées sur un minuscule bout de papier qui permettrait vraisemblablement à l'Ambasade de France, avec beaucoup de détermination et beaucoup de temps à perdre, de retracer mon chemin s'il venait à m'arriver quelque chose.

 

Trouver un hôtel à Khartoum au coeur de la nuit malgré une carte et un guide détaillé est une aventure qui mériterait à elle seule un récit de 30 pages. Disons que j'ai fait au sens propre 4 fois le tour de la ville, que je guidais le taxi plus qu'il ne me guidait et que cela m'a coûté 30 dollars, sans compter la nuit d'hôtel ! Mais les soudanais sont d'une patience d'or et très sympathiques, se proposant tous de m'aider, même au coeur de la nuit et par 40°C, embrouillant avec enthousiasme la situation à chacune de leurs interventions.

Comment dit-on hôpital en arabe ?

La journée du 9 octobre commence plutôt bien et je m'offre de bonne heure la visite du Muséum National. Bien que fouillis, poussiéreux et presque en ruine, il est très instructif et laisse facilement deviner le potentiel archéologique INCROYABLE du Soudan, dont la partie nord correspond à ce qui fut l'ancienne Haute Egypte. Des objets datant de 250 000 ans avant Jésus Christ ont été retrouvés dans le sable des déserts ! Si le Soudan avait été fouillé autant que l'Egypte, il est fort à parier qu'il y aurait plus de touristes dans les parages !! Le potentiel semble à peine entamé.

 

Le soir amène une fraicheur relative mais, en l'espace de deux heures, je me trouve laminé par des diarrhées violentes et pris d'une forte fièvre. La suite est l'aventure la plus rock and roll qu'il m'ait été donné de vivre.

 

Craignant d'avoir contracté le paludisme malgré mon traitement préventif et mes précautions, je boucle en vitesse mon sac, quitte mon hôtel et me rend à l'hôpital le plus proche pour faire un test sanguin. Le paludisme peut en effet prendre différente forme et l'une d'entre elle, la forme cérébrale, ne vous laisse que 24h à vivre si vous n'accédez pas immédiatement à un traitement. La règle est donc simple : en zone paludisme, qui dit fièvre dit hôpital, et à fond de cinquième !!

 

Arrivé sans encombre et en une demi-heure dans les services du Al Faisal Hospital, je crois la partie quasiment gagnée. Loin de là ! Je patiente 2 heures que j'occupe à me battre pour me faire comprendre, pour ne pas me faire doubler dans la file d'attente et pour obtenir un reçu des 80 dollars que me coûte la première consultation !

 

Il est 22h50, j’ai 39.2°C de fièvre et 9/6 de tension. Je grelotte, je suis trempé de sueurs et j’ai des vertiges. Devant mes symptômes, le médecin décide de m'hospitaliser. J’explique à mon interlocuteur que j’ai une assurance et lui explique qu’il doit leur facturer les frais. Il refuse et me demande 1000 dollars pour m’hospitaliser. Je contacte mon assurance, Avi International à l’aide de mon téléphone portable et de ma puce soudanaise. La conversation coupe au bout de 15 secondes. J’ai à peine eu le temps de dire mon nom !! Il fait nuit et toutes les boutiques qui vendent du crédit sont fermées. Je demande gentiment si je peux utiliser le téléphone pour être rappeler. Refus immédiat. C’est alors qu’à ma plus grande surprise mon téléphone sonne. C’est Avi qui m’indique avoir trouvé mon nom dans leur fichier client et m’ont immédiatement rappelé ! Ça s’est de l’efficacité bordel !

 

Je passe mon téléphone au réceptionniste qui les écoute patiemment avant de laisser tomber un tomber un « non » que j’ai envie de lui faire ravaler. Malgré mon assurance et la convention que cette dernière a signée avec l’hôpital, celui-ci refuse de m'avancer le moindre dollar et me demande même d'en mettre 1000 sur la table pour les frais à venir. Je ne les ai pas. J'enrage.

J’attends sur un lit, tremblant de fièvre et de plus en plus inquiet, que mon assurance parvienne à démêler la situation. J’ai lancé mon chronomètre et je compte dans ma tête en imaginant le pire. Il me faut 2 heures maxi pour être à l’aéroport et 6 heures maxi pour trouver un avion vers le Caire. 2 heures de vol et 2 de plus pour être dans un hôpital sûr. Je reste sous la barre des 24 heures fatidiques.

 

Au bout d’un certain temps, devant mon état piteux et l’aberration de la situation, une infirmière originaire des Philippines m’injecte 75mg de Votrex pour faire tomber la fièvre. Je lui demande avec un rire jaune si sa seringue est neuve…Je commence à stresser sérieusement et je me sens faible. Je décide de brusquer un peu les choses, pensant pouvoir convaincre le médecin de me faire une seule prise de sang pour faire le test de dépistage du paludisme dont je pense être atteint.  Alors que je parcours l’hôpital à sa recherche, Avi me rappelle et me donne les coordonnées d’un second hôpital avec lequel leur convention fonctionne. Cet hôpital, le Fedail Hospital a été auditionné il y a 3 mois et devrait tenir ses engagements.

 

J'essaye de convaincre le médecin qui m’a ausculté de me remettre une copie de son ordonnance. Il finit par m’en remettre une sur laquelle il a écrit en entête, en anglais et en arabe, « à hospitaliser d’urgence ». Je reprends mon sac et un taxi, c’est reparti ! J’y arrive à 4h du matin et ses urgences sont désertes. Je tends mon ordonnance à un homme. Il me regarde hébété une seconde puis me guide à grand pas vers un médecin. En l’espace de 10 minutes, j’ai une couverture, et l’on m’a fait une prise de sang. Je respire un peu mieux. Les résultats me parviennent une heure après. Je n’ai pas le paludisme, mon médecin ignore ce que j’ai et préfère me garder pour d’avantage de tests. On me mène à une chambre plus confortable que tous les hôtels fréquentés depuis mon départ ! Je passe le reste de la nuit sous perfusion, à faire des allers retours entre mon lit et les toilettes, ruinant même mon lit lors d’une crise plus aiguë que les précédentes, et décidant finalement de rester somnoler sur les toilettes…

 

Je reste à l’hôpital 4 jours de plus. A me nourrir de riz et de jus de fruits frais, à passer des tests d'urine et sanguins, à échanger avec les femmes de chambres éthiopiennes immigrées ici et ravies que je parle quelques mots d'amharique. On ne me diagnostique finalement qu'une gastro-entérite et le médecin me donne son feu vert pour reprendre la route. Je boucle mon sac une nouvelle fois...